Décider avec le non-humain
Les tentatives d’intégration des non-humains dans les institutions politiques se multiplient en France, dans la continuité d’initiatives menées ailleurs dans le monde depuis la fin du siècle dernier. La Loire, le Rhône, le Rhin sont par exemple au cœur de mobilisations pour les doter de personnalités juridiques et d’un “Parlement” - tout comme divers affluents ainsi que des écosystèmes côtiers ou humides remarquables.
Ces démarches viennent percuter l’action publique, avec des effets encore émergents, et des limites à dépasser s’il s’agit réellement de les ancrer dans le réel politique et administratif.
Quelles sont les vertus de ces mobilisations, d’ores et déjà observables ?
D’abord, elles créent des espaces culturels nouveaux, qui permettent de tisser des liens entre des pratiques souvent éloignées autour des milieux concernés (occupation culturelle, parcours pédestres, sciences participatives, événementiel…). Un nouveau continuum potentiel apparaît ainsi, qui va des pratiques citoyennes les moins institutionnelles aux leviers traditionnels de l’action publique comme l’investissement et l’aménagement. On peut y voir les ferments de réels futurs services publics écologiques.
Ensuite, elles produisent des espaces d'attractivité et de mise en lumière du patrimoine naturel, revitalisant l’attachement et la notoriété d’un territoire. La possibilité renforcée de fréquenter la Loire en tant que milieu attire d’autres visiteurs que les amateurs de vin et de châteaux. L’entité naturelle devient un monument en soi, plus vivant que géographique ou historique.
Enfin, elles révèlent les cadres de politiques publiques à inventer pour mieux prendre en compte l’intérêt des écosystèmes et des milieux, qui débordent en général des frontières administratives ou territoriales. Le focus sur un bassin versant ou un milieu ouvre de nouveaux espaces de négociation inter-territoriale et inter-organisations, dans laquelle la participation citoyenne trouve ses marques et de nouvelles fonctions.
Aussi stimulantes et vertueuses qu’elles soient, ces démarches se heurtent à la question de leur lien à la décision. Intégrer les intérêts des non-humains ne résout pas les paradoxes fondamentaux des démarches de participation citoyenne, tels qu’identifiés, entre autres, par Manon Loisel et Nicolas Rio (voir cet entretien avec les auteur·es de Pour en finir avec la démocratie participative).
Comment faire pour que l’institutionnalisation politique du vivant non-humain ne soit ni une nouvelle opportunité “d’institutionnaliser une conception dépolitisée de la participation citoyenne” (Alice Mazeaud), ni un facteur d’alourdissement de processus de décision déjà bien trop lents si on les met en regard de l’ampleur des périls écologiques ? Comment articuler l’exploration, l’expression, la délibération, la concertation, la décision puis… l’action concrète des agents publics, des acteurs sociaux-économiques et des personnes ?
Dans le cadre du programme au long cours Biodiversité administrative, nous portons avec Démocratie ouverte une proposition de Microparlements. La question de la décision sera au cœur de ces explorations. L’idée est notamment de rattacher les démarches de participation et de mobilisation citoyenne en matière de biodiversité à des documents formels et opposables comme les PLU ou les SCOT.
Avec Waoup, nous portons une autre proposition, qui consiste à comptabiliser le temps scientifique et citoyen passé sur une démarche d’engagement pour le vivant afin d’étendre le co-financement des projets par les bailleurs nationaux et locaux en l’indexant non plus seulement sur le financement en € mais également sur le temps investi. Si le niveau de participation citoyenne a un impact sur le montant du soutien aux projets, il nous semble que cela rend plus désirable le fait de se mobiliser sur en faveur du vivant auprès des porteurs de projets locaux.
D’autres idées méritent sans doute d’être testées pour améliorer la prise en compte du vivant dans l’action publique. On peut par exemple imaginer que des sièges représentant le vivant soient créés au sein des exécutifs locaux - les entreprises sont incitées à le faire dans leurs organes dirigeants - ou que le CESE se transforme pour faire davantage de place aux actuels absents du processus de prise de décision (les non-humains, les générations futures, les exclu·es et les invisibles…).
Si ces sujets vous inspirent et que vous voulez en parler avec nous, nous serons présent·es à la 5ème édition de l’odyssée du Fleuve le 23 juin prochain au Dock B (1 Place de la Pointe, 93500 Pantin) pour une table ronde avec Marine Calmet (WILD LEGAL) et Amandine Ilolo (Démocratie Ouverte).
On l’a vraiment vraiment fait
Expérimenter les aménagements et services des futures stations de tramway et de Bus à Haut Niveau de Service de la Métropole Européenne de Lille (MEL).
À l’horizon 2035, la Métropole Européenne de Lille prévoit l’ouverture de deux nouvelles lignes de tramway et de deux lignes de Bus à Haut Niveau de Service, soit environ quatre-vingts stations à faire émerger. C’est un projet d’ampleur, impliquant de nombreux acteurs et intervenants, avec un partage des responsabilités plutôt complexe.
Dans ce contexte, Vraiment Vraiment a été sollicité par la Direction du Schéma Directeur des Infrastructures de Transport (SDIT) de la MEL pour élaborer un guide de recommandations concernant les services et les aménagements de ces futures stations. Cet outil a vocation à guider tous les acteurs impliqués et servir de ressource avant, pendant, et même après l’installation et la mise en activité des stations.
L'approche se décompose en trois volets principaux : les aménagements, l'information et les services. Pour chacun d’eux, nous avons mené une expérimentation dans une station existante, afin de tester et affiner nos propositions.
À Loos, nous avons testé différents aménagements d'arrêt (configuration en longueur, en L, dos à dos, face à face) en utilisant des modules de béton. Une expérimentation d’un mois et demi, incluant plusieurs sessions d'animation et de discussion avec les usager·ère·s.
À Loos, station Rue de Londres, des jeunes s’approprient une configuration en face à face.
À la station Versailles de Villeneuve-d'Ascq, nous avons installé une nouvelle signalétique, pensée pour améliorer l'orientation et le parcours usager, et rendre la station plus identifiable.
À Villeneuve-d’Ascq, la nouvelle signalétique de quartier pour aider les usager·ère·s à se repérer à partir de l’arrêt.
Enfin, à Roubaix, nous avons expérimenté l'implantation de services complémentaires dans une station. Par exemple, nous avons testé un point d’information “La Métropole vous parle”, afin de toucher des publics habituellement difficiles à informer, comme les collégien·nes. Des formats courts d’animation diverses ont également été testés.
À Roubaix (Hôpital Victor Provo) où nous animons un temps d’échanges avec les collégiens, usager·ère·s sur les services en station.
Les prototypes installés nous ont permis de recueillir plus de 700 retours d’usagers. Nous avons également cherché à approfondir la question de l’accessibilité de l’aménagement des stations et des informations mises à disposition, grâce à l’apport de la Commission Intercommunale d’accessibilité de la MEL : l’expertise d’usage de cette équipe nous a aidé à faire des choix adaptés pour présenter la bonne information, au bon format, au bon endroit, au bon moment, en tenant compte de différents handicaps sans créer de conflits de besoin (saturation sonore par exemple) pour garantir une expérience adaptée à tous les usager·ère·s.
Enrichi par les retours des tests, le guide de recommandations pour l’offre de services en station propose les fondamentaux d’une station qui atteint le niveau d’ambition d’un parcours d’usage réussi et qualitatif - une station minimale qui intègre les immanquables et les marqueurs d’identité et de parcours (le signal, l’abri, le thermomètre de ligne et l’écran d’informations dynamiques). Cette base peut être complétée par un ensemble d’éléments en fonction de la typologie urbaine de la station (minimales, cœur de ville, intermodales). En complément, une série de critères pensés pour garantir une qualité de service optimale : rapidité, rassurance, confort et plaisir.
Ce guide est particulièrement visuel, synthétique et riche d’enseignements. En fin de compte, ce fut un projet ambitieux, plein d’apprentissage et qui, nous l’espérons, va contribuer à améliorer l’expérience des usagers dans les transports en commun de la MEL grâce à des stations fonctionnelles, accueillantes et adaptées à tous.
On a vraiment vraiment aimé
L’accueillette, outil à destination des professionnels de l’accueil développé par le programme de recherche-action LabAccès du Ti Lab.
Le Cycle des veilleurs, une expérience artistique participative qui invite à veiller sur sa ville ou sa région au moment du lever et du coucher du soleil.
« En’jeux du bassin », un jeu qui retrace au moyen d’une carte interactive toute la complexité et la fragilité de l’écosystème du bassin d’Arcachon.
Public, un livre d’Antoine Vauchez qui revient sur le mot public et ses contradictions: une lecture saine et incontournable pour celles et ceux qui s'interrogent sur la capacité des politiques publiques à renouer des liens privilégiés avec LE public.
Le 3ème livret de la Société des communs, Ouvrir la gouvernance et la production des services publics aux citoyens, sorti en 2023, qui résonne ardemment avec notre front « Régies publiques renouvelées ».