Densification heureuse

Les débats sur le “zéro artificialisation nette” se tendent. Parmi d’autres arguments échangés ces dernières semaines, le maire de Caen a eu cette phrase, citée dans Le Monde : “la densité heureuse, ça n’existe pas”. 

À l’invitation de l’IHEDATE, l’un de nous venait justement d’aborder le sujet sous un angle un peu différent : la densification étant inéluctable si on veut limiter le changement climatique (et s’y adapter), comment créer les conditions pour qu’elle soit heureuse ?

Il y a quelques semaines, nous avons visité à l’invitation de Romain Thévenet, designer, le sanatorium de Bergeserrin (Saône-et-Loire). Fermé en 2008 “pour quelques mois”, il a d’abord été intégralement livré aux pilleurs, puis confié à des associations de softball. Aujourd’hui, le bâtiment de 15 000 m2 est vide. Des associations et entreprises locales ont décidé de le réhabiliter. La communauté de commune du Clunisois les soutient, et les habitants sont venus prêter main-forte lors de chantiers participatifs pour dégager les espaces verts et évacuer les gravats. A l’image de ce sanatorium, combien de bâtiments publics (ou non) de plus ou moins grande ampleur sont aujourd’hui sans vocation ?

Pourtant, l’idée selon laquelle le développement passe avant tout par la consommation de sols demeure bien ancrée, avec celle qui veut que la densification serait synonyme de perte de qualité de vie pour les habitants. 

Aujourd’hui, le débat oppose grossièrement l’artificialisation des sols, seul modèle de développement, à leur conservation (à des fins d’usages agricoles, de loisirs, de protection de la biodiversité…) qui ne pourrait aboutir qu’à la mort des territoires ou à la construction d’immeubles de 15 étages dans lesquels “personne n’a envie de vivre”. 

Si l’on se concentre sur les territoires ruraux (mais ça vaut pour les villes moyennes), le déclin des villages n’a pas franchement été ralenti par l’artificialisation massive des sols. Voire, en construisant sur des terres agricoles, à la périphérie des bourgs, des centres commerciaux, des cafés, des cinémas, des pôles santé, des sièges de communautés de communes, des pôles enfance jeunesse et des salles de sport, on a vidé les villages et les petites villes de leurs fonctions vitales. C’est sans doute là qu’est le véritable “ruralicide”, dont Laurent Wauquiez voudrait faire porter la responsabilité au ZAN en “sortant du dispositif” - une posture d’ailleurs sèchement recadrée cette semaine par la Préfète d’Auvergne Rhône-Alpes.

La densification peut être une opportunité d’améliorer les conditions de vie des habitants. Pour cela, il est nécessaire d’élargir le cadre au-delà du seul logement, pour envisager tous les nouveaux usages permis ou favorisés par l’augmentation de la population sur une surface donnée : création de commerces et de cafés, mise en place de transports collectifs, réouvertures de services publics, réanimation du tissu associatif, vie sociale qui s’enrichit… Autant d’aspects qui viennent réparer une partie des inconvénients de la vie éclatée et automobile. 

Les conditions d’une densité heureuse se construisent avec les habitants, dans des démarches sincères et qui peuvent être longues car elles impliquent de réinventer la vie en faisant émerger petit à petit les réponses spécifiques et concrètes d’un territoire, et en identifiant ce qu’ont à gagner les habitants à la densification de leur quartier/bourg. Il s’agit autant d’une question d’aménagement (le bâti) que d’animation, pour faire vivre les projets, les usages et la nouvelle communauté.

La qualité sociale et relationnelle des espaces publics joue un rôle central dans l’augmentation de la qualité de vie. Là encore, il ne s’agit pas que de créer des logements mais de penser les espaces publics, les aménités, qui les accompagnent. Des réglages fins sont nécessaires, pour (re)créer les conditions d’appropriation des espaces par les habitants et recréer la vie qui a déserté bien des espaces publics de zones peu denses, cœur de village ou centre des villes moyennes.

Enfin, et peut-être surtout, la densification heureuse nécessite que les projets soient guidés par une vision cohérente de l’intérêt général, qu’on trouve plus naturellement du côté des collectivités locales et de la société civile que des promoteurs. Il revient aux mairies et aux agglomérations d’en faire des projets porteurs de progrès. La densification ne peut pas être déléguée totalement aux promoteurs. Or, les collectivités locales semblent encore mal outillées pour travailler à cette densification heureuse avec leurs habitants. C’est sans doute un chantier à mener à un niveau coopératif, par exemple via le CEREMA, la Banque des territoires et/ou l’ANCT.

Nous ne saurions nous résoudre à considérer que la densité heureuse n’existe pas : ce serait acter qu’il ne peut y avoir que des vies malheureuses dans les centres des bourgs et des villes, ou même dans les immeubles (notamment du parc social). Dans un contexte où 61% des Français demeurent attachés à leurs centres-villes malgré tout ce que l'artificialisation des sols leur a confisqué ces dernières décennies et où l’urgence climatique croît, cela ne serait pas très raisonnable. 

On a vraiment vraiment aimé

_L’article “Transition écologique : pourquoi on n’y arrive pas” de Partie Prenante : l’agitation grandissante autour des politiques de transition et les multiples documents stratégiques serviraient-ils à masquer l’inaction ? Sommes-nous en train de contribuer au greenwashing de l’action publique ? Des doutes à partager largement, pour éviter de contribuer au désastre en toute inconscience. 

_L’exposition Paris Animal au Pavillon de l'Arsenal, qui a retracé l’histoire de la construction de la capitale, de l’Antiquité à nos jours, sous l’angle de la cohabitation des humains avec les autres espèces animales. Une quarantaine de récits y mettaient en valeur des dynamiques variées d’interaction : tension, collaboration, domination, crainte, domestication, contemplation, ignorance… Autant de perspectives utiles pour concevoir la ville vivante de demain. 

_Cette initiative de la région Ile de France, qui demande à l'État de lui transférer 45 compétences aujourd'hui centralisées, comme piloter la rénovation énergétique des logements ou créer un Smic régional francilien. Les questions que cela ouvre, notamment en termes de péréquation financière, sont immenses, mais le débat mérite d’exister. 

_Ce rapport sur le numérique du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE) : que ce soit dans les contenus diffusés en ligne ou les professions exercées dans le secteur du numérique, les femmes demeurent sous-représentées. Le rapport formule des recommandations visant à éliminer les inégalités de genre et à briser le cercle vicieux du sexisme. 

_Cette vidéo de présentation d’Adaptaville, un écosystème de solutions d'adaptation au changement climatique. Canicules, grands froids, gaspillage énergétique, destruction de la biodiversité… L'Agence Parisienne du Climat a lancé l'initiative AdaptaVille, qui propose une plateforme visant à recenser des solutions écologiques résilientes ayant prouvé leur efficacité sur le territoire.

On le fait vraiment vraiment

Préfigurer les futurs espaces publics avec les habitant·es de la ZAC Littorale à Marseille. 

En plus d’être historiquement délaissé par l’action publique, le sud du 15ème arrondissement de Marseille - début des « quartiers nord » - subit une transformation massive dans le cadre d’une opération de renouvellement urbain. Les nuisances des travaux viennent s'ajouter à un manque de services et de confort “de base” (assises, végétation, aires de jeux, transports, services publics, etc.).

Comment penser demain, alors qu’aujourd’hui est si précaire et inconfortable ?

Dans le cadre de notre accompagnement de  l’EPA Euroméditerranée depuis 2022 et pour 3 ans, nous cherchons à renouer un minimum de confiance avec les habitant·es, alors que les formes traditionnelles de concertation essoufflent les usagers. La mobilisation des publics est fastidieuse voir impossible, la projection vers l’avenir relève du hors sujet, les événements organisés par les différents acteurs de la transformation du quartier se succèdent dans une logique que seuls les organisateurs saisissent, la prise en compte concrète et à l’échelle des attentes des usagers n’est pas garantie.

On nous a dit : « on veut juste 10 bancs ! » 

Alors on a installé 10 bancs, à des emplacements choisis par les usagers de l’espace public : devant l’école, ce sont les parents d’élèves qui viennent chercher leurs enfants à la pause méridienne et qui s’asseyaient jusque là par terre, qui nous ont dicté les implantations. Sur la placette de l’église, les riverains ont imaginé des configurations originales qui se son révélées finalement assez inconfortables  - en plein soleil et peu ergonomiques. 

Un exemple de fiche d’observation, ici remplie par la directrice d’école.

On observe, on écoute, on déplace. Ce chantier a un nom : « mobilier ordinaire ». Cela peut paraître trivial, anecdotique. C’est pragmatique, fondé sur un protocole d’observation robuste qui associe les agents publics de terrain, et doté de moyens financiers et humains inédits pour ajuster l’offre aux besoins.

Un banc utile, avant d’être beau, est bien placé, au centimètre près. Une expertise d’usage dont disposent les habitant·es.

Au-delà de ce projet, nous déployons un vaste plan d’action sur le territoire, conçu et mis en œuvre avec la Caravanade de Yes We Camp (nos partenaires de (tout-)terrain sur la mission). Les actions que nous menons (gestion habitante des espaces verts, marchabilité  des trajets scolaires, signalétiques et repères en période de travaux…) servent à alimenter les réflexions des maîtrises d'œuvre et d’ouvrage, et à accompagner l’aménageur sur de nouveaux modes de faire la ville, avec une attention portée à la vie “en temps de chantier”.

Après une première année de travail, la question centrale qui se pose est celle du temps long : comment les aménagements futurs peuvent-ils garantir la pérennité des usages initiés en transitoire et qui sont porteurs de sociabilité et de ré-appropriation des espaces publics ? On vous en reparlera !