Manifestement plus consensuel que le front républicain, l’esprit olympique a conduit chaque commune de France, ou presque, à courir après les idées permettant de l’incarner au mieux dans la vie municipale. Parmi celles-ci, le design actif, qui “vise à encourager la mobilité et l'activité physique par l'aménagement de l'espace public” (CEREMA), s’est taillé une place de choix dans les commandes publiques depuis deux ans.
En 2022, la première rencontre nationale des acteurs du design actif affichait la couleur : “Bouger plus au cœur des villes.” Qui pourrait être contre ?
Pas nous, assurément.
Néanmoins, il n’aura échappé à personne que dans deux mois, les Jeux olympiques et paralympiques seront passés. On peut imaginer que leurs effets - des plus vertueux aux plus pénibles - s’estomperont vite. Que restera-t-il, alors, de l’engouement pour le design actif ?
La lecture des cahiers des charges des projets commandés nous inspirent deux réflexions préliminaires.
D’abord, le design actif exerce un formidable attrait pour les adeptes du marketing territorial - dont nous ne sommes pas.
Ensuite, et cela nous intéresse davantage, il semble que les commanditaires y voient la solution à l’ensemble des maux de l’espace public. Mixité, inclusion, apaisement, place des enfants, des femmes et des séniors, accessibilité des équipements sportifs… C’est souvent un bien beau bingo.
Quand le CEREMA nous a sollicité il y a quelques temps pour partager auprès de collectivités locales nos pratiques de design actif, notre première réaction a été quelque peu béate (”on fait ça, nous ?”). Passés les premiers doutes, il nous a paru intéressant de relier certains de nos projets d’expérimentation et de préfiguration d’espaces publics au thème de cette série de séminaires, “Favoriser l'activité et la vie locale”. Et, pour nous, c’est précisément là, à l’articulation avec le territoire et les vies qui s’y mènent, que les projets de design actif manquent souvent de sens et d’utilité.
Pour préciser un peu et lancer un débat qui pourrait enjamber les JOP, voici un passage en revue de quelques impensés du design actif qui, en creux, dessinent autant de principes pour l’avenir du design urbain.
Design passif et design des politiques publiques
Crédit photo : © PMA. Design : Vraiment Vraiment, Alexandre Moronnoz.
L’injonction hygiéniste à “bouger”, quand elle prend la forme de parcours plus ou moins sportifs, n’est pas vraiment inclusive.
Si l’on veut faire bouger une personne âgée, la première étape est de lui donner l’envie et la possibilité de sortir de chez elle - ce qui ouvre, d’ailleurs, sur un champ plus vaste de design des politiques publiques.
Cela passe moins par la couleur des escaliers que par de larges trottoirs, des assises bien placées pour se reposer, de l’ombre pour s’abriter, des commerces de proximité pour discuter et faire ses courses, de l’aide ou de la compagnie pour oser faire les premiers pas, etc.
L’urbanisme “favorable à la santé” relève ainsi davantage d’un sujet transverse global, mobilisant de nombreuses politiques publiques et autant de services et élus municipaux.
Des espaces sanctuarisés ou une ville toute entière pour les enfants ?
Le design actif prolonge une approche palliative de la place des enfants dans la ville, en prévoyant la sanctuarisation d’espaces dédiés. Or, l’époque est sans doute davantage à imaginer une ville pour les enfants (et, par ricochet, pour toutes et tous). Cela dit, il est plus compliqué de mettre en œuvre une véritable politique de réduction de la place de la voiture que de peindre des parvis d’écoles en couleurs vives.
Crédit photo : © PMA. Design : Vraiment Vraiment, Alexandre Moronnoz.
Le tabou suprême : la place de la voiture en ville.
Le premier irritant de l’espace public et premier frein à son appropriation “active” est sa motorisation massive. L’essentiel de l’espace public (50 à 80%) est dédié à faire rouler ou stationner des voitures. Ne restent que quelques miettes pour marcher. Sur la base de notre expérience, faire du design actif sans diminution drastique de la place de la voiture, c’est en fait créer des conflits d’usage entre non-motorisés sur les trop rares m2 qui échappent à la voiture.
Le temps de la conception qui joue des coudes
La temporalité des projets de design actif est souvent déduite de fiches actions lancées en janvier et à réaliser pour mai, “les élus y tiennent !”.
Une fois déduits les temps de sourcing et d’achat de mobilier (8-14 semaines), le temps laissé à la conception de l’espace est aussi limité que le nombre de buts des Bleus pendant l’Euro 2024.
Or, la qualité de ce qui sera livré dépend avant tout de ce travail, qui permet de bien vérifier avec les habitants et acteurs de terrains la justesse des implantations, de séquencer la mise en place, de créer les conditions d’une programmation avec et par le tissu micro-local. Et, puisqu’on parle ici de temporalité, une note pour plus tard : lier un calendrier de développement urbain à un événement est, au mieux, une folie.
Concrètement, quelle place donner au design actif dans les projets urbains, une fois les JOP passés ?
Il nous semble que le design actif peut représenter un outil d’accompagnement intéressant sur certains projets de réappropriation de l’espace public.
Quand nous avons accompagné la Métropole européenne de Lille sur l’amélioration des abords des écoles, il est apparu évident que la pertinence des dispositifs assimilables à du design actif - passage piétons ludiques, jalonnements, jeux au sol… - était conditionnée à une réduction de la place de la voiture. Nous avons d’ailleurs refusé l’implantation de passages piétons ludiques sur une des communes expérimentatrices qui ne souhaitait pas libérer des places de stationnement devant l’école.
Quand nous travaillons à un projet “héritage” des JOP au sein de la ZAC Gare des Mines Fillettes (nord de Paris), territoire marqué par de nombreux mésusages liés à la consommation de crack dans l’espace public qui font fuir les femmes, les enfants, les adolescentes et les séniors, nous orientons le projet de “design actif” pour qu’il favorise une amélioration réelle du square Charles Hermite. C’est un travail d’orfèvre, en partenariat avec Alexandre Moronnoz et ProUrba, qui doit permettre de refaire du square un point de passage sur le chemin de l’école et des courses. Bon revêtement, bon ratio entre usages et paysage, test d’usages temporaires et, surtout, capacité des usagers à s’approprier le dispositif et à le faire vivre : un kit d’objets légers est géré par des habitants référents, qui proposent une petite programmation quotidienne dans le square offrant une présence rassurante pour les autres habitants.
Inscrit dans une vision urbaine qui est à la fois globale et inscrite finement dans les usages micro-locaux, le design actif peut ainsi dépasser l’anecdotique (coûteux) et participer à faire naître de nouveaux usages, sans nécessiter d’investissements conséquents si une conception intelligente lui permet de s’inscrire dans les modes de faire et les routines des collectivités locales et de leurs agents.
On l’a vraiment vraiment fait
Penser la dématérialisation et la simplification des démarches administratives en partant de l’expertise métier des agents et en mettant les usagers au centre, pour Bordeaux Métropole (Direction du numérique) et la ville de Bordeaux.
De l’inscription en crèche à la demande d’acte de naissance, en passant par l’obtention d’un bac à ordures, les formulaires sont omniprésents dans la vie administrative des personnes. Souvent complexes et rébarbatifs, ils génèrent du stress : une incompréhension, une case mal remplie ou oubliée, et la demande risque d’être rejetée, avec des délais et des conséquences qui peuvent être importantes sur la vie quotidienne.
À l’occasion du lancement d’une plateforme visant à simplifier et homogénéiser l’expérience des démarches en ligne pour les vingt-huit communes de la Métropole, le service numérique de Bordeaux Métropole [DGNSI] a demandé à Vraiment Vraiment de penser une dématérialisation utile pour les usagers, en capitalisant sur l’expertise métier des agents.
En matière de simplification et de dématérialisation des démarches administratives, nous avons une conviction : il ne suffit pas de numériser, d’enlever des cases ou de simplifier le langage pour que le progrès soit à la hauteur des enjeux. Manipuler des formulaires, c’est entrer dans le détail de la conception des règles et des choix qui structurent les services publics. Derrière chaque case à cocher, il y a des règles particulières d’administration. Une démarche de design des politiques publiques permet d’expliciter et de mettre ces règles en discussion. L’expertise des agents réside notamment dans leur capacité à traiter une diversité de cas spécifiques, et c’est avec cette expertise là que l’on peut simplifier de manière intelligente.
Avec la cellule expérience numérique de Bordeaux Métropole, nous avons alors imaginé le Simplificathon, un kit constitué d’un format atelier et d’outils qui sensibilisent les directions et leurs agents aux méthodes du design et de l’approche centrée usager, et leur permettent de simplifier leurs démarches. Un projet passionnant qui nous a permis de créer un cadre de dialogue rare pour les agents sur leur travail, et d’ouvrir la boîte noire des démarches administratives.
Cet atelier se déroule sur deux journées entières. Autour de chaque table, un groupe composé d’agents des directions métiers et de facilitateurs numériques travaille à la simplification et à la dématérialisation d’une démarche complexe.
La première journée est l’occasion de mettre en débat les règles et processus métiers de la démarche. Après une formation aux enjeux de la dématérialisation et aux leviers de simplification possibles (comme le principe de “Dites-le nous une fois”), chaque groupe dessine et analyse le parcours actuel de la démarche administrative (côté usager·ère et côté agent·es métier), pour visualiser les irritants et les étapes problématiques. Cette journée est l’occasion d’imaginer la démarche idéale à moyen terme, en se donnant la permission de réinterroger les automatismes et les étapes qui paraissent évidentes.
Le deuxième jour, les participants prototypent un chemin de fer de la démarche, déterminant ce qu’il est nécessaire de demander et dans quel ordre logique. On travaille sur la rédaction de la démarche pour la rendre accessible au grand public : harmoniser les formulations, retirer les termes de jargon…. La conception numérique se fait avec un kit papier, permettant à tous de participer, même ceux peu à l’aise avec la conception d’interfaces numériques. La journée se termine par des tests avec des usagers, pour valider et ajuster les propositions.
À ce jour, nous avons mené trois sessions du Simplificathon, qui nous a permis de simplifier quinze démarches en ligne (et autant de processus métiers) et de sensibiliser une cinquantaine d’agents à la conception centrée sur l’usager.
Chez Vraiment Vraiment, nous rêvons d’aller plus loin. Il nous semble nécessaire d’adopter ces approches et discussions dans d’autres collectivités, et de les répliquer pour des dispositifs plus complexes, tels que les prestations sociales ou une plateforme comme Parcoursup.
À l’heure de la dématérialisation galopante, il est important de ne pas faire comme si numérique rimait systématiquement avec simplicité et qualité des parcours, pour prendre le temps de mettre à plat chaque démarche avec les agents qui en sont les experts et en les interrogeant à l’aune des ambitions de politiques publiques.
On a vraiment vraiment aimé
« Les Partis du futur », premiers résultats de la recherche-action sur les partis politiques menée par le Labo Des Partis. De cette enquête, ils imaginent six nouveaux modèles de partis parmi lesquels : le parti de vos rêves.
Les doléances, un documentaire d’Hélène Desplanques qui rend la parole aux auteurs des cahiers de doléances rédigés en 2019 pendant la crise des gilets jaunes. Une enquête de deux ans parmi les archives départementales, auprès de celles et ceux qui se battent pour la reconnaissance de ce travail démocratique tant attendu !
Territoires ruraux : en panne de mobilité, une étude du Secours Catholique qui revient sur l’enclavement et la disparition du système de mobilité rurale, liés aux mauvais choix d’aménagements de ces dernières décennies, confirmant l’urgence d’introduire et partager des alternatives crédibles à la voiture individuelle.
« La guerre de l’eau », une série de podcasts de Rémi Dybowski pour France Culture sur les enjeux politiques de l’eau. Une enquête pour comprendre ce qui se joue derrière le changement climatique, les sécheresses répétées et la remise en cause citoyenne des usages et du partage de l’eau.
Bravo pour cette newsletter. Le concept de design actif me rappelle celui de développement durable il y a quelques années. Une expression qui sonne bien et employée à toutes les sauces, sans remettre en cause l'aménagement de notre territoire et l'hégémonie de la voiture qui en découle
Your newsletters are amazing. Thank you! I loved the work with forms alongside the team at Bordeaux Métropole. It reminded me of a very interesting initiative developed by Code for America last year, the FormFest. I suggest taking a look at it! Best regards!
https://codeforamerica.org/news/forming-the-future/