Efficace, utile
Il y a une éternité (un mois environ), le Premier ministre a nommé deux hauts fonctionnaires dotés d’une solide expérience pour lui faire des propositions en faveur d’un “État efficace”.
On pourrait s’interroger longuement sur la notion d’efficacité et sur les acceptions différentes qu’elle prend suivant qu’on est agent de la direction du Budget, patron d’une entreprise qui reçoit des aides de l’État, travailleur social dans un département ou résident d’un EHPAD public. En matière de décentralisation, le géographe Daniel Béhar a récemment souligné combien sous l’apparent bon sens au service de l’efficacité, la spécialisation des collectivités locales était source d’inefficacité (dans Le Monde).
Concentrons-nous ici sur la méthode : la production en chambre de « recommandations » s’inscrit dans la lignée d’une tradition de la « réforme de l’État » largement confisquée à la démocratie, reposant sur des expertises très spécifiques et homogènes. En leur époque, les « audits de modernisation » (2005), la RGPP (2007), AP2022 (2017) et même, à certains égards, la MAP (2012) ont largement échappé au Parlement et aux premier·es concerné·es - agents publics comme citoyen·nes.
Si l’on suit le juriste Thomas Perroud*, on peut d’ailleurs élargir la focale : ce n’est pas seulement la transformation des services publics qui s’affranchit de toute exigence démocratique, mais les services publics eux-mêmes, pensés verticalement comme pure extension du pouvoir exécutif au détriment du pouvoir d’agir des agents et des usager·es.
Contre cette confiscation historique et structurelle de l’avenir des services publics, l’innovation publique se veut une « insurrection » - le terme est de Christian Paul, à l’occasion des Assises de l’innovation publique organisées début octobre par le CNFPT. Via le design des politiques publiques ou la mobilisation de la recherche, elle tente d’instaurer des cadres et de mener des projets dans lesquels le pouvoir est mieux partagé, la valeur de ce qui se joue au plus près de la vie mieux reconnue, la diversité des expertises plus utilement écoutée.
À « l’État efficace », objet de communication derrière lequel le fantasme d’un grand plan social n’est jamais loin, l’innovation publique cherche à renforcer l’État utile, les services publics utiles, avec la conviction qu’il faut pour cela reconnaître l’expertise d’usage des agents de terrain et des citoyen·nes, et travailler avec. C’est politique, car c’est une question de partage du pouvoir.
Des centaines de projets menés depuis quinze ans aux côtés d’élu·es et d’agents publics par des designers et des chercheur·ses ont fait la preuve qu’il était possible de réparer ou d’inventer les services publics, en intégrant les conflits de soutenabilités - démocratiques, sociales, économiques, professionnelles, écologiques, numériques…et budgétaires, puisque c’est là que le regard de l’actualité se porte tout particulièrement.
Le 17 septembre, nous avons consacré une soiré à l’exploration de ces conflits de soutenabilités et aux contributions possibles du design pour les anticiper, pour en faire des objets de conversation démocratique au plus près des territoires, pour les résoudre parfois même. La formalisation de la matière très riche (nous étions tout de même 200, merci !) est en cours, pour une restitution d’ici la fin de l’année.
Dans la continuité de ce moment, c’est donc sous le signe de l’utilité que Vraiment Vraiment place son mois de novembre - consacré “mois de l’innovation publique”.
Concrètement, nous vous proposons :
UN WEBINAIRE “Que peut le design ? Rétrospective et perspectives sur 15 ans de projets aux côtés des acteurs publics” // Jeudi 6 novembre 2025 de 12h00 à 13h30. Sur inscription.
DES PERMANENCES “à l’écoute de vos préoccupations” tout au long du mois de novembre, selon deux formats :
1) En visio, chaque vendredi entre 9h00 et 11h00 (créneaux de 30 minutes), sur inscription. Vous êtes agent public ou acteur de l’intérêt général et un sujet vous taraude ? Un projet mal embarqué ? Un conflit de soutenabilités que vous peinez à documenter ou à résoudre ? Ou, tout simplement, vous avez des questions sur le design d’intérêt général, les façons de travailler avec l’agence, envie de faire notre connaissance ? C’est l’occasion ! Pour s’inscrire, c’est ici.
2) Au Salon des maires et des collectivités locales les 18, 19 et 20 novembre (Porte de Versailles). Vous pouvez nous écrire pour prendre RDV (contact@vraimentvraiment.com)
DES CONTENUS : des témoignages et des ressources mises à disposition tout au long du mois de novembre · Sur Autrement Autrement · Sur Linkedin · Sur Instagram
Au plaisir de vous croiser pendant ce mois de l’innovation publique et au-delà !
* Thomas PERROUD, Service public et commun. À la recherche du service public coopératif., éd. du Bord de l’eau, 2023
On l’a vraiment vraiment fait
Partager une raclette du futur avec les agent·es et habitant·es d’Annemasse afin d’imaginer la vie du territoire en 2050.
La ville d’Annemasse a sollicité Vraiment Vraiment pour mener une démarche de prospective territoriale avec ses habitant·es. Pendant un an, nous avons accompagné la Ville dans la collecte de récits et de visions pour structurer des réponses à la question : comment vivra-t-on à Annemasse, en 2050 ?
Pour que l’exercice soit à la fois démocratique et robuste du point de vue de la prise en compte des grandes tendances exogènes, nous avons multiplié les temps d’inspiration et d’écriture collective en allant chercher aussi celles et ceux qui participent rarement à ce genre de démarche.
Concrètement, la démarche s’est appuyée sur :
8 intervenant·es passionnant·es* venu·es élargir l’horizon et apporter des visions inspirantes sur de grandes problématiques comme l’alimentation, le climat ou la ville du futur. Merci à Makan Fofana, Catherine Clarisse, Ketty Steward, Samuel Bonvoisin, Martine Rebetez, Saul Pandelakis, Alexandre Monnin et Camille Leboulanger.
6 ateliers podcast avec des lycéen·nes pour recueillir des “témoignages du futur” sous forme audio (et mobiliser ainsi un public jeune pas toujours simple à intégrer aux démarches participatives)
24 ateliers avec des habitant·es et des agent·es
Des moments d’aller-vers spontanés à l’occasion d’événements dans la ville
Un temps d’échange avec les membres du Conseil communautaire des jeunes…
300 questionnaires déployant autant de visions étonnantes pour le futur du territoire.
Si la collecte a ainsi témoigné du foisonnement de projections possibles, il s’agissait de ne pas en rester là. Nous les avons agrégées en scénarios classés en 6 grandes thématiques :
1) Hospitalités locales et internationales
2) Fabrique de droits nouveaux
3) Pionnière de la cohabitation avec le vivant
4) Ralentir pour mieux se transformer
5) Nouveaux lieux pour des liens forts
6) Solidaire avec les plus vulnérables
Les scénarios (à découvrir ici) ont également été traduits en orientations possibles pour l’action publique locale, avec une série d’ateliers techniques avec les agents de différents services municipaux pour identifier les implications opérationnelles de chaque.
Pour clore cette année d’accompagnement, nous avons conçu une exposition illustrée permettant de restituer la matière accumulée et d’en faire un support de discussions sérieuses autour d’une raclette du futur ouverte à toutes et tous.
Chez Vraiment Vraiment, nous sommes très fier·es de ce projet qui a cherché à démocratiser la prospective en la rendant concrète et opérationnelle.
Loin de la morosité ou du fatalisme auquel on aurait pu s’attendre, les récits récoltés témoignent de projections désirables et d’ambitions courageuses, avec de l’espoir, de l’envie et de la combativité de la part des Annemassiens et Annemassiennes.
Une bouffée d’air frais !
On a vraiment vraiment aimé
Cette vitrine virtuelle du patrimoine professionnel de la Ville de Paris qui recense des gestes professionnels, savoir-faire, objets…qui font le patrimoine des métiers municipaux. Un catalogue passionnant et ouvert à contribution.
La note Terra Nova sur les liens entre police et population et le péril démocratique que fait courir sa dégradation et la défiance qui s’installe, avec des pistes pour renouer avec l’efficacité et les fondamentaux de service public.
Le formulaire de British Telecom qui propose aux britanniques d’adopter les fameuses cabines téléphoniques rouges, désormais désuètes, pour en faire des lieux d’intérêt général au bénéfice des territoires (en anglais).
La ressourcerie du Fonds MNT de soutien à l’innovation par les agents territoriaux, avec un premier volet thématique autour de l’accueil dans les lieux de service public. Vous y trouverez des retours d’expérience incarnés et des ressources en accès libre. D’autres thématiques vont suivre prochainement !







