Insoutenabilités
La préparation du budget de l’État relève d’une mécanique bien huilée, avec un jeu d’acteurs qui laisse peu de place à l’imprévu - même s’il est de plus en plus souvent perturbé par une crise sanitaire, démocratique ou bientôt écologique. La direction du Budget et son ministre de tutelle (sur)jouent le rôle de la Raison, les ministres se rebiffent dans les bureaux feutrés de Matignon et de l’Elysée ou prennent les Français·es à témoin, les groupes d’intérêts s’activent pour éviter la suppression de telle niche fiscale ou de telle ligne budgétaire, les députés fourbissent leurs amendements…
Cette année, la crise politique issue de la dissolution de l’Assemblée nationale a créé une situation chaotique et la préparation du budget est à la fois tardive et périlleuse. Une seule certitude : “il va falloir se serrer la ceinture” - même si cette métaphore pleine d’apparent bon sens populaire (la gestion “en bon père de famille” n’est pas loin, elle-même précédant de peu l’inévitable “si l’État était une entreprise, elle serait en faillite”) permet d’occulter la vraie question : qui a une ceinture et des bretelles beaucoup trop larges et qui, au contraire, a vendu sa ceinture depuis belle lurette pour faire tenir son pantalon avec des bouts de ficelle ? Les injustices sociales et fiscales ne sont pas à une approximation près.
L’objet du projet de loi de finances présenté hier, jeudi 10 octobre, en conseil des ministres, est de ramener à 5 % le déficit public en 2025, puis à 3 % d'ici 2029. Pour l’année qui vient, le chemin proposé est de réduire les dépenses publiques à hauteur de 40 milliards d’euros, et d’augmenter les recettes pour 20 milliards d’euros. Le Parlement se prononcera sur ces objectifs et sur les moyens proposés par le gouvernement et il ne nous appartient pas ici de les commenter.
Quelque chose, néanmoins, nous inquiète : l’impression que ces mesures, qu’elles soient d’économies ou de recettes supplémentaires, ne sont pas conçues au prisme des soutenabilités. Nous n’avons pas le luxe, ici, d’entrer dans la distinction entre soutenabilités faibles (assurer des conditions de vie humaine acceptables pour le XXIème siècle) et soutenabilités fortes (se donner une chance de préserver l’habitabilité de la planète pour les millénaires à venir).
Mais posons tout de même l’ambition d’une action publique qui soit durable, systémique et légitime - les trois piliers posés par France Stratégie (directement rattaché, on le rappelle, au Premier ministre) dans son travail passionnant mais vite oublié sur les soutenabilités, auquel VV avait contribué à l’époque (2022).
Suppression de postes d’enseignants, baisse du remboursement des consultations médicales, baisse du budget de l’audiovisuel public… Est-ce que les mesures d’économies projetées pour l’année prochaine ont été évaluées au prisme de leur soutenabilité sociale ? De leur soutenabilité écologique ? De leur soutenabilité démocratique ? De leur soutenabilité territoriale ? De leur soutenabilité sécuritaire, au sens étroit comme au sens large du terme ? De leur soutenabilité économique ? Et pas seulement de ces soutenabilités une par une, mais prises ensemble ?
Jusqu’à preuve du contraire, non. Et pour cause : il n’existe ni les outils ni l’acteur interministériel (ou les acteurs interministériels) qui soit chargé, en lien avec les collectivités locales et la société civile, de faire cette analyse. En la matière, depuis le rapport de France Stratégie, rien n’a changé.
Pour cette année, c’est raté, et pas seulement pour le budget : le détricotage annoncé du “zéro artificialisation nette”, par exemple, n’a pas dû faire l’objet de beaucoup d’analyse au prisme des soutenabilités.
On va donc au-devant de nouveaux mouvements sociaux type bonnets rouges ou gilets jaunes, de catastrophes écologiques et sanitaires, de nouvelles flambées des idées d’extrême-droite (or, à force de flamber…), notamment dans les territoires où l’abandon des services d’intérêt général et de pans entiers de la population n’en finit plus de s’accélérer.
Le chantier d’une action publique durable, systémique et légitime demeure ainsi tout entier sur le métier. Avec d’autres, nous continuerons d’apporter notre petite pierre à l’édifice, mais il faut bien avouer qu’on se sent parfois un peu en sous-effectif.
On l’a vraiment vraiment fait
Imaginer avec les travailleurs sociaux du Calvados une plateforme de ressources en ligne adaptée à leurs besoins quotidiens.
Chaque jour, les professionnel·les des politiques sociales orientent des personnes en situation d’urgence vers des structures d’accueil adaptées, chacune ayant ses critères d’admission et ses procédures spécifiques. Ces informations sont généralement recensées et centralisées à l’aide de cahiers, classeurs ou documents imprimés, qui deviennent rapidement obsolètes et nuisent à la collaboration.
Après un premier temps d’immersion pour comprendre les pratiques de travail et les besoins des professionnel·les, Vraiment Vraiment a été mandatée par la Direction Départementale de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS) du Calvados pour concevoir une plateforme numérique dédiée à faciliter le repérage et la mise à jour des dispositifs sociaux sur le territoire. Le projet a été Lauréat de l'Appel à défis pour une action publique co-construite avec les usagers et les agents de la DITP.
Le Guide des Professionnels du Social du Calvados (GPS 14), conçu avec les agents de la DDETS et les travailleurs sociaux, répertorie aujourd’hui 200 dispositifs locaux. Via un système de filtres adaptés (par exemple, permettant de savoir si un centre accepte les animaux ou non), les professionnels peuvent naviguer facilement parmi ces dispositifs. En plus des structures d’hébergement, le GPS 14 propose aussi des informations sur l’aide alimentaire, la précarité énergétique, la mobilité solidaire, et bien plus encore, grâce à un important travail de collecte et de saisie de données par les agents de la Préfecture. La plateforme propose également des fiches techniques, avec des informations juridiques et administratives, utiles pour la formation et l'accompagnement des nouveaux agent·es, services, ou associations.
Un travail de co-construction minutieux a permis d’adapter le système de filtres aux besoins réels des travailleur·ses sociaux et de leurs interlocuteur·trices. L’expertise des agents a permis d’élaborer une catégorisation le plus en phase possible avec les attentes réelles des professionnel·les : le GPS 14 peut ainsi offrir une plus grande flexibilité pour refléter les pratiques des structures locales.
Enfin, l’interface d’administration (back-office) a été pensée pour permettre une mise à jour fluide et rapide des informations, afin que les agents puissent signaler facilement les erreurs, proposer des modifications et mettre à jour les coordonnées de contact.
En effet, au-delà des aspects techniques de la plateforme et de son système de filtrage, l'objectif principal de cet outil est de faciliter l'orientation vers un contact direct et un numéro de téléphone à jour. La mise en lien entre un·e travailleur·euse social·e et une personne-ressource dans une structure d'accueil est bien plus précieuse qu'une description détaillée de chaque dispositif. Cela reflète la réalité du travail social, qui repose beaucoup sur les interactions et les échanges informels entre professionnels.
Nous sommes fiers de voir la plateforme utilisée par plusieurs centaines de professionnels du Calvados, via un accès authentifié. Grâce à son code en open source (aussi bien la partie front-end, qui affiche les dispositifs, que l’interface de saisie back-end), le GPS 14 est conçu pour être répliqué sur d’autres territoires ou thématiques, et nous espérons que cette initiative sera utile à d'autres collectivités.
On a vraiment vraiment aimé
Cet épisode du podcast Douce France sur France Culture, où il est question des conditions dans lesquelles on peut s'entendre avec ses adversaires politiques au service de l'intérêt général, ce qui n'est pas forcément contradictoire avec la nécessaire repolitisation de la politique locale.
L’ouvrage Data Feminism de Catherine d’Ignazio et Lauren F.Klein, mis en avant dans un article d’Hubert Guillaud, qui propose de repenser la science et l’éthique des données en s’inspirant de la pensée féministe intersectionnelle.
Le dispositif incitatif et sécurisant proposé par Ecov, M covoit’ Lignes +, pour déployer des solutions de covoiturage spontané à l’échelle de la Métropole de Grenoble et du Parc naturel régional du Vercors.
Le rapport d'Oxfam "Changement climatique, nous ne sommes pas prêts”, qui révèle le manque de protection des citoyennes et citoyens face aux changements climatiques, en lien avec l'absence de politique globale et de financements adaptés.
On a un nouveau site ! Des ressources en accès libre, une manière plus simple de raconter VV et de présenter l'équipe : venez voir !