Les institutions manquantes
Nous voilà entrés dans cette période pluvieuse, mi-rassurante mi-agaçante, des vœux. C’est donc le moment de se souhaiter une bonne année. C’est chouette, une bonne année, et avec l’année 2024 que nous venons de passer, ce serait déjà pas mal que 2025 soit meilleure.
Néanmoins, convenons que ça ne nous mène pas très loin. On pourrait se souhaiter, mettons, une bonne décennie. Ou, pour voir plus loin encore, une vie bonne pour nos enfants. Ça aurait de la gueule, dans les cérémonies de vœux officielles : “Françaises, Français, citoyennes et citoyens du monde entier, je souhaite une vie bonne à tous vos enfants et vos petits-enfants, et je m’attacherai à y contribuer dès aujourd’hui.”
Ah, ah, n’importe quoi, franchement.
Si l’on revient à l’année qui vient, nous ne sommes pas avares d’envies. Un wifi qui fonctionne mieux, des clients qui font attention à leurs délais de paiement, un ministre des services publics qui connaîtrait d’autres outils que la hache et qui ne copinerait pas avec l’extrême-droite masculiniste et impérialiste d’outre-Atlantique… Vous nous connaissez, on en a sous le pied.
A l’échelle de la décennie, on se souhaiterait bien l’accélération, la cohérence et la continuité des transformations écologiques. Les conséquences de Chido à Mayotte nous le rappellent : sans lutte radicale contre le changement climatique, les événements extrêmes vont se multiplier, et sans imagination concrète au service de l’adaptation, les capacités humaines les plus basiques vont être balayées.
Pas fou fou comme perspective, pour démarrer l’année.
Or, comme le pointe Stéphane Foucart dans Le Monde, « nous entrons dans une période longue de relégation et d’oubli de la question environnementale. » Drôle de paradoxe… Les explications sont nombreuses : lepénisation du débat politique en France et ailleurs, guerres qui durent et accaparent légitimement une partie de l’attention, maintien au pouvoir d’une génération politique largement échouée, dont la préférence pour la continuité finit par tuer tout élan en faveur du vivant humain et non humain…
Même avec ces explications, il est frappant de voir à quel point l'action écologique paraît facile à balayer. Le chaos politique accéléré par la dissolution de juin 2024 n’empêche pas nos enfants d’être accueillis chaque matin à l’école publique. Les frais médicaux continuent d’être remboursés par la Sécu, les institutions de la République parviennent à accueillir le pape dans de bonnes conditions. La police, l’armée, l'URSSAF, continuent de travailler. Cahin caha, même en dépit de la négligence politique et du travail de sape budgétaire implacablement mené depuis des années sous couvert de “bon sens”, de “morale” ou “d’efficacité”, ces services publics continuent de fonctionner. Grâce notamment à l’engagement de celles et ceux qui y travaillent, la France n’est pas “à l’arrêt” au moindre premier ministre vacant.
En matière écologique, c’est comme si rien ne venait préserver l’inertie indispensable à l’action utile. Le plan vélo à deux milliards d’ici 2027 ? Rétréci à 100 millions en 2025, avec un renvoi à la responsabilité des collectivités - ce qui n’empêche pas le gouvernement de prévoir de réduire leurs capacités d’investissement dans le projet de budget qui sera, peut-être, un jour, adopté. Avec des conséquences qui se font déjà sentir sur leurs projets en faveur de la biodiversité, par exemple. Un tiers du budget de l’ADEME, qui représente sans doute ce qui s’approche le plus d’un proto-service public de la transition écologique, est en sursis. En l’absence de plan d’adaptation financé, la puissance publique se condamne à subir la succession des crises et débloque à la petite semaine des aides sectorielles pour faire face à la sécheresse, aux inondations, aux tempêtes… La “planification écologique” menace de dérailler.
Il manque aux politiques écologiques un atout important : des institutions légitimes, systémiques et durables qui les portent, au bon niveau stratégique et ancré dans le quotidien des citoyen·nes, de la société civile, des entreprises et des territoires. Ces “institutions manquantes” nous rendent collectivement impuissants et, de plus en plus, désespérés.
On cherche en vain les services publics écologiques - tant les nouveaux services publics de la transition écologique, à inventer, ou les services publics que nous connaissons, à faire pivoter.
Du côté des services à inventer, il y a tous les services d’accompagnement des ménages dans la métamorphose de leurs façon d’habiter, se déplacer, consommer. Au-delà des guichets et des aides financières - qui dysfonctionnent souvent massivement - il y a un accompagnement individualisé global à imaginer, avec des moyens à la hauteur. Un peu comme un demandeur d’emploi bénéficie d’un panel d’interactions avec Pôle emploi (France Travail), du rendez-vous individualisé aux outils en ligne en passant par les formations collectives, on devrait pouvoir bénéficier d’un large nuancier d’outils et ressources pour faire évoluer nos comportements et nos environnements immédiats à la fois pour atténuer nos impacts climatiques et écologiques, et pour nous adapter au monde qui vient. Cela permettrait de remettre le citoyen au cœur des défis écologiques, plutôt que d’en faire reposer l’entière responsabilité sur le consommateur.
Pour ce qui est de l’écologisation de l’ensemble des services publics que nous connaissons, il est temps de faire pivoter l’ensemble des pans de l’action publique, y compris les plus régaliens, en faveur des soutenabilités. Vite, que Bercy prenne sérieusement en compte l’ensemble des coûts de l’inaction climatique sur les finances publiques futures ; vite, que l’armée, la gendarmerie et la police mettent en débat les manières d’assurer collectivement notre sûreté et notre sécurité climatique ; vite, que l’on invente les partenariats entre citoyens mobilisés et services de l’État en matière, par exemple, de préservation de la biodiversité.
De façon démesurée, l’absence de ces services publics écologiques expose l’action en faveur des changements écologiques et sociaux nécessaires à la frivolité politique d’institutions dysfonctionnelles. Ainsi, alors que le monde semble basculer de nouveau, nous payons le prix de n’avoir pas, quand il était temps, imaginé les institutions du monde qui vient. Que l’on pense, par exemple, à la gestion de l’eau… Où sont les lieux qui permettent la discussion démocratique sur les mesures radicales qui, partout et par-delà les limites administratives, sont à prendre ?
Les institutions et les services publics de demain nous font défaut. Or, une telle reformulation de l’État providence au sein d’un État “social-écologique” (voir Eloi Laurent), que l’on souhaiterait aussi relationnel, permettrait peut-être de réconcilier les préoccupations de la fin de l’année avec celles de la fin du siècle.
Une manière de donner du sens à nos vœux, puisque c’est le moment. Bonne année à vous, et une vie bonne à celles et ceux qui nous suivront. Merci de nous lire, nous essaierons d’être à la hauteur en 2025 !
Nous voulons rendre ici hommage à Nicolas Nova, professeur et chercheur à la Haute école d’art et de design de Genève, décédé fin décembre.
Ni technophiles ni technophobes mais curieuses et ancrées, les façons d'aborder le numérique dans le design des politiques publiques lui doivent beaucoup. Nous adorions son appétit pour les enquêtes de terrain et sa manière de les mener, appétit qu’il savait documenter et transmettre via ses nombreuses et passionnantes publications.
Les communautés du design, de la prospective et de l’innovation perdent un précieux compagnon de route.
Nos pensées vont à ses proches, à ses collègues et à ses étudiant·es.
On l’a vraiment vraiment fait
Créer du lien social et penser la transformation d’un quartier au travers de ses usages, avec les Éclaireurs de la résidence Charles Hermite (Paris 18ème).
Depuis mai 2023, les Éclaireurs de la résidence Charles Hermite jouent un rôle clé dans la transformation de leur quartier. Ces habitant·es, formé·es et rémunéré·es, créent du lien entre leurs voisin·es, les projets urbains et les institutions. Leur travail s’inscrit dans un projet ambitieux : la rénovation de 1300 logements de la résidence, ainsi que la reconfiguration du quartier Gare des Mines-Fillettes.
Adam, Adrien, Diariatou et Hawa en permanence au Lieu Commun de la résidence
Située au nord de Paris, la résidence Charles Hermite fait partie des Habitations Bon Marché (HBM), ancêtres des logements sociaux actuels. Construite dans les années 1930 sur les anciennes fortifications de la ville, la résidence est marquée par cette histoire urbaine singulière. Certains habitants sont nés dans la résidence, au sein de familles qui y habitent depuis plusieurs générations.
Depuis 2022, Vraiment Vraiment accompagne le bailleur social Paris Habitat dans le cadre d’une mission d’Assistance à maîtrise d’usage (AMU) pour la rénovation des logements de la résidence Charles Hermite. Ce projet ambitieux vise une réhabilitation complète pour répondre aux exigences du Plan Climat, avec une isolation thermique et phonique renforcée, ainsi que des modifications importantes dans les logements. Des transformations qui s’inscrivent dans un contexte social complexe, au sein d’un territoire marqué par un rapport méfiant vis-à-vis des pouvoirs publics et des institutions, un sentiment d’abandon et des inquiétudes légitimes face aux déménagements imposés par les travaux.
En parallèle, nous intervenons également à l’échelle du quartier Gare des Mines-Fillettes, une zone d’aménagement concertée. Cette double mission nous offre une vision transcalaire du territoire, de la porte des logements jusqu’à celle du tramway.
Dès le début de notre intervention, nous avons identifié un enjeu crucial autour de la communication entre les habitant·es et les acteurs institutionnels. Les supports classiques — comme les affiches — ne suffisent pas. Les informations sur les travaux, les relogements ou les événements du quartier restent largement inaccessibles à beaucoup de personnes. La méfiance envers les institutions (bailleur, mairie d’arrondissement, aménageur…), les habitudes de communication institutionnelle décalées, parfois barrière de la langue… Le besoin était fort de renouer le dialogue, d’incarner la communication au sein de la résidence et de créer des relais pour mieux diffuser l’information.
C’est avec ces défis en tête que les Éclaireurs ont vu le jour en mai 2023. Le contrat de prestation qui nous lie à Paris Habitat inclut une clause d’insertion sociale et professionnelle. Pour la réaliser, nous avons noué un partenariat avec Activ’18, l’entreprise à but d’emploi du 18e arrondissement.
Les Éclaireurs au pied des Lanternes de la résidence.
Ainsi, dans le cadre de notre projet, les Éclaireurs sont formé·es et rémunéré·es pour effectuer des missions très variées, complémentaires à celles des gardiens de la résidence :
Gérer les lieux partagés de la résidence : les Éclaireurs supervisent le planning du Lieu Commun - une Maison du Projet partagée entre les équipes de terrain, du bailleur et de la ville, et les associations du quartier qui tiennent des permanences administratives et font des animations - et des Lanternes (petites salles polyvalentes complémentaires, dispersées au pied des immeubles de la résidence). Ils et elles y organisent des temps conviviaux et gèrent les fournitures du lieu.
Accueillir et orienter les habitant·es : les Éclaireurs assurent plusieurs permanences par semaine au Lieu Commun, pour répondre aux questions sur les travaux, les relogements, rassurer les habitants, réorienter vers les différents services disponibles.
Dialoguer avec les habitants hors-les-murs : les Éclaireurs distribuent et affichent des supports d’information dans les 63 halls de la résidence, rencontrent les habitant·es sur le terrain (pharmacies, écoles, cafés du quartier) et recréent du lien avec les personnes les plus éloignées des démarches habituelles.
Participer aux projets urbains : de plus en plus, les Éclaireurs sont autour de la table lors des réunions maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre, en tant que représentant de la maîtrise d’usage. Ils et elles accompagnent Vraiment Vraiment sur le terrain et lors des réunions de concertation, réagissent sur les prototypes et en évaluent les conditions d’usage, et deviennent de véritables expert·es d’usages, reconnu·es et rémunéré·es pour cette expertise.
Rencontres hors-les-murs autour de la résidence
Aujourd’hui, quatre Éclaireur·euses travaillent à mi-temps sur la résidence Charles-Hermite. Ces personnes incarnent une vraie force de transformation, contribuant à ré-encapaciter les habitant·es du quartier, à renouer les liens entre institutions et habitant·es dans un contexte de défiance, et à penser le projet urbain à partir de ses usages. Leur insertion dans le tissu social du quartier et leur multi-linguisme permettent de mobiliser des habitant·es habituellement très éloignés. Nous sommes fiers de travailler avec des experts de l’usage, avec une vraie plus-value et des compétences, et fiers de rémunérer cette expertise.
La Mairie du 18e arrondissement a reconduit le projet pour un an, avec le soutien de Paris Habitat, de Paris & Métropole Aménagement et de l’État. À terme, nous rêvons de pérenniser cette expérimentation, en étendant, à l’image d’une régie de quartier, les services portés par Activ’18, au cœur de la conception du futur projet urbain.
On a vraiment vraiment aimé
La vidéo de cette table ronde sur l’attractivité de la fonction publique organisée à l’occasion de la sortie du rapport de France stratégie sur le sujet. On y discute des moyens de moderniser le recrutement pour le rendre plus inclusif et accessible, tout en répondant à la baisse de sélectivité des concours et à la pénurie de candidats.
Ce tour d’horizon des espaces partagés dans le logement social en Europe proposée par l’Apur et l’École urbaine de Sciences Po, avec des exemples venus de Milan, Genève, Le Havre et Vienne.
Cette première infographie de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, qui illustre comment la disparition des chauves-souris a un impact sur l’agriculture, l’économie et la santé publique. On a hâte de voir les trois prochaines infographies !
Le cahier prospectif sur les vulnérabilités du groupe VYV (en partenariat avec SinonVirgule), qui explore quatre scénarios captivants pour imaginer l’avenir : la réindustrialisation verte, l’inflation technologique, la révolution agricole et citoyenne ou encore le déclin réactionnaire.
Essayer River runner, qui nous permet de lâcher une goutte d’eau n’importe où dans le monde et de suivre son parcours jusqu’à la mer ou l’océan. Un moyen simple mais efficace pour prendre conscience de la notion de bassin versant.