C'est votre projet
Les projets d'administration, de service ou d'établissement font partie des objets courants de l'action publique. On les trouve (presque) partout, leur existence relève parfois de l'obligation réglementaire, leur caractère pluri-annuel favorise leur oubli - jusqu'à ce qu’il soit déjà l’heure de penser au suivant.
Bref, ils sont très importants, sans forcément être très utiles ni structurant dans le quotidien des agents ou des usagers.
Vraiment Vraiment a travaillé ces derniers mois avec la Ville de Marseille, la Ville de Colombes et le CHRU de Tours sur l'élaboration de leurs projets d'administration et d'établissement. Il peut paraître incongru de mobiliser des designers sur un exercice en apparence assez éloigné du "centré usager", du prototypage et de la conception de solutions désirables.
Pourtant, travailler sur les interfaces - app, guichet, formulaire, site, téléphone... - entre services publics et citoyen·nes est nécessaire, mais pas suffisant. Lancer à grand bruit un nouveau service numérique (ou une nouvelle signalétique ou un nouvel aménagement…) pour résoudre un problème donné est aussi efficace qu’un nouveau numéro vert si les processus sous-jacents et sa maintenance n’ont pas fait l’objet d’un effort au moins aussi important.
C'est pour cela que nous nous sommes progressivement mis à chercher des projets qui, sans perdre de vue les besoins des habitant·es ou des usager·es ni les objectifs des politiques publiques, permettent aussi d’interroger et de transformer les façons de travailler, d'échanger de l'information, d'écouter, de coopérer, de se former, de prévoir ou de réagir au sein des organisations publiques.
Un projet d’administration ou d’établissement peut catalyser ces besoins et ces leviers de changement, surtout si tous les agents publics peuvent y contribuer sincèrement. Tous ? Oui, ou presque ! A Marseille, nous avons mobilisé 15% des 13 000 agents de la Ville. A Colombes, nous allons au-delà, en faisant déborder le projet sur la ville : les habitant·es sont invité·es à participer à la réflexion sur l'administration municipale du futur. Au passage, c'est un cadre rare de pédagogie et de médiation sur les possibilités et les contraintes de l’action publique, sur la fiscalité et sur la cohésion sociale.
Passionnants, ces projets sont aussi particulièrement exigeants.
D'abord, parce qu'ils nécessitent de s’immerger sans filtre dans l'administration et les services publics. Ces démarches agissent aussi comme des révélateurs des souffrances des agents publics, de leur sentiment d'impuissance, de l'abîme entre les besoins et les moyens.
Ensuite, parce qu'être utile en tant que designers dans ces projets nécessite, plus encore que dans d'autres projets du design des politiques publiques de comprendre finement les cadres et contraintes - juridiques, budgétaires, RH, informatiques... - de l'action publique.
Enfin, parce que c’est tout de même un sacré défi, que de réussir à faire d’un exercice techno-PDF une démarche désirable et fédératrice.
Dans ce contexte, que peut le design des politiques publiques ?
Concevoir des cadres collectifs transgressifs pour le pilotage de la démarche. A Marseille comme à Colombes ou au CHRU de Tours, nous avons organisé le pilotage de l’élaboration du projet d’établissement à des “assemblées” de professionnel·les et/ou d’habitant·es/usager·es tiré·e·s au sort, parmi tous les métiers, tous les niveaux hiérarchiques, tous les quartiers…
Outiller des espaces de travail non-hiérarchique. Les outils du designer permettent donner une forme extra-ordinaire aux échanges et de se concentrer sur les aspects concrets - ce qui marche, ce qui pourrait être amélioré, ce qui bloque le travail des agents… Cela permet de “dé-serrer” des situations sur lesquelles la contrainte hiérarchique et le sentiment que “ça a toujours été comme ça” pèsent de tous leurs poids, générant du ressentiment et de la frustration.
Rendre tangibles et manipulables les enjeux organisationnels. L’organigramme est le principal mode de représentation d’une organisation. S’il est très bavard en matière de périmètres de responsabilités individuelles, il échoue à représenter les liens de coopération, les contributions transversales ou les espaces d’expérimentation. Il est également assez pauvre pour organiser la discussion et la projection sur l’avenir. Le design permet de produire des formes pédagogiques et pratiques pour travailler puis communiquer sur ces sujets.
Faire du projet un outil narratif et pratique. Aucun agent n’a le temps ni l’envie de lire plusieurs dizaines de pages d’un document PDF pourtant censé orienter son travail quotidien pendant plusieurs années. Prendre le projet d’administration ou d’établissement comme un objet à concevoir avec soin, en pensant à ses différents usages et usagers, est un sujet de design. A Colombes, le projet prend la forme d’une exposition itinérante qui va prendre place dans les lieux de passage des habitants (bibliothèque, hall de l'hôtel de ville…) et de travail des agents de la ville. Cette exposition permet non seulement de prendre connaissance des orientations et des pistes d’actions, mais aussi et surtout à chacune et à chacun de composer “son” propre projet d’administration en sélectionnant les pistes qui l'intéressent le plus ou auxquelles iel souhaite contribuer.
Les projets d’administration ou d’établissement souffrent d’être davantage “administratifs” que “projets”, et peu ancrés dans le quotidien des professionel·les.
Les démarches que nous essayons de construire visent au contraire à en faire des cadres fédérateurs et partagés, sans tabous - la question des conditions de travail, par exemple, fait forcément partie des discussions.
Aider les organisations publiques à aider les agents publics à répondre dans de bonnes conditions aux besoins sociaux d’aujourd’hui comme de demain : rien de facile, mais une sacrée source de fierté. Merci à celles et ceux qui nous font confiance !
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On a vraiment vraiment aimé
_Cet article des Labonautes restituant leur travail, dont l’objectif était de prendre du recul sur les laboratoires d’innovation publique et d’explorer les conditions pour renforcer leur ambition, via notamment la clarification de leurs objectifs et finalités. Un must read pour la communauté de l’innovation publique, grâce au partenariat entre la 27ème Région, la DITP et le Ti Lab.
_L’épisode des Idées Larges “Et si on arrêtait le progrès ?”, qui questionne le caractère inéluctable de l’innovation et le progrès technique dans un entretien avec François Jarrige, historien des sciences et auteur du livre « Technocratiques, du refus des machines à la contestation des technosciences ».
_L’étude annuelle du Conseil d’État sur l’action publique “du premier au dernier kilomètre”, pour laquelle nous avions eu l’honneur d’être auditionnés (nous avions parlé de ça), et qui appelle à mobiliser le design pour “appréhender la qualité du vécu de l’usager et à anticiper et considérer l’ensemble de leurs attentes et besoins dans la conception des politiques publiques”. Forcément, on adhère.
_L’initiative d’Aire Commune, qui a lancé le Réseau Îlots d'été, offrant des espaces de travail en extérieur gratuitement et pendant toute la saison estivale. Ces aménagements sont spécialement élaborés pour faciliter le télétravail en plein air et sont judicieusement situés dans divers quartiers de Montréal. Le “greendesking” serait un excellent moyen pour réduire le stress, stimuler la créativité et renouveler l’énergie mentale.
_L’article 1 mètre carré, 1000 usages : le plan et l’agenda paru sur Autrement Autrement, dans lequel sont présentés des modalités de mutualisation des lieux publics qui tiennent compte des usages, au-delà des bonnes intentions de départ sur la mise en commun, la réduction des coûts et la polyvalence des équipements.
_L’application de simulation de l’ombrage dans l’espace public, ShadowMap, qui permet une simulation précise des ombres solaires à tout moment, n'importe où sur Terre. Un précieux outil de planification ou de projection, avant d’acheter un bien immobilier, de concevoir une grande façade vitrée pour une école ou de savoir où planter des arbres.
On l’a vraiment vraiment fait
Aux côtés des équipes du GHU Paris psychiatrie & neurosciences, nous avons travaillé à concevoir des espaces d’accueil qui prennent soin des usagers.
Les premiers pas vers puis dans les lieux d’accueil déterminent de nombreux aspects de la relation future entre l’institution et l’usager, et fondent les conditions futures du parcours de soin. Pourtant, l’accueil - aux frontières de compétences de plusieurs services et directions - est presque toujours sous-investi.
L’ambition de la direction du GHU Paris et de son Lab n’était pas de standardiser l’accueil sur l’ensemble des 94 sites du GHU Paris, très hétérogènes à tous points de vue, mais de penser les conditions d’une continuité et d’une qualité commune.
Nous avons exploré plus spécifiquement les enjeux de visibilisation des accueils dans l’espace public (vs des entrées “cachées”, qui ne rendent pas service aux usagers, ni en pratique ni en symbole), ainsi que les problématiques des espaces d’attente dans lesquels la cohabitation des publics usagers est problématique, rendant caduque le paradigme de la salle d’attente. La question des conditions et des outils du passage à l’échelle de recommandations concrètes dans tous les domaines (espace d’accueil, gestion de l’information, amélioration des postures d’accueil, formation des agents, signalétique, etc.) était particulièrement importante également compte tenu de la taille et du caractère multi-sites du GHU Paris.
Sur la base de visites de site avec nos partenaires Atelier Georges, d’entretiens et d’ateliers avec les professionnel·les, les patient·es et leur proches, nous avons produit une charte des accueils (notamment pour les espaces d’attente et d’accueil, et la signalétique) et une charte des signalétiques intérieures, dont nous avons prototypé et testé les éléments fondamentaux. Nous avons également amorcé l’écriture d’un projet de formation sur les métiers de l’accueil, à la fois cruciaux et mal outillés.
Un projet ambitieux, d’autant plus précieux que les hôpitaux font encore peu appel au design - même si des initiatives encourageantes et un réseau de designers embarqués voient le jour - et que l’accueil dans les services publics en général est rarement vu comme un objet de conception à part entière.
Merci à la direction du GHU Paris et à l’équipe du du lab-ah pour leur confiance !
Merci de nous avoir lu jusque-là ! On vous donne rendez-vous dans un mois (ou presque).
D’ici là, continuons à panser l’impensé (ou à penser l’impansé ?) ensemble.
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